gerardmoncomble | À paraître prochainement. Orlando furioso, de L’Arioste.
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Ce prochain opus est une adaptation fort libre d’un poème épique écrit au 16eme siècle par Ludovico Ariosto. Un écrivain italien de la Renaissance, qu’on nomme L’Arioste en France. Une œuvre de près de 40 000 vers. Gigantesque, titanique.

L’album (d’environ 200 pages) sera illustré par Frédéric Pillot. Probablement à ce jour encore deux à trois ans de travail d’illustration. Plus de 150 images, dont beaucoup de double-pages. Parution vers 2024/25.

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~Un~

L’armée d’Agramant, roi d’Afrique, encercle Paris, où Charlemagne et ses Francs se terrent. Oublieux du péril, Roland et Renaud, paladins de l’empereur, se disputent l’amour d’Angélique. Guerre et passions s’entretissent à l’envi. Voilà un bon moment que cela dure. Des mois, à vrai dire.

Cet homme assis sous un dais rouge et or a pour nom Carolus Magnus, en langue latine. Magnus, sans nul doute : c’est un colosse. Même plié en trois, il dépasse les deux gardes qui flanquent le trône. N’est-il pas roi des Francs et empereur d’Occident ? Magnus, assurément. Charles le Grand. Autrement dit, Charlemagne.

Présentement dans son palais, en la bonne ville de Paris. Jusqu’ici, rien d’anormal.

Pourtant, il a l’air contrarié, le bougre. Voyez sa mine sombre, ses doigts qui pianotent les accoudoirs du trône. C’est que les nouvelles sont mauvaises. Menée par le Sarrasin Agramant et l’Espagnol Marsile, l’armée maure assiège Paris. Que la ville tombe et la chrétienté aura vécu. Demain se tiendra une bataille où, espère-t-il, ses hommes bousculeront les Maures.

Est-ce le moment de se quereller pour des peccadilles ? C’est toutefois ce que font deux de ses paladins, parmi les meilleurs. Charles vient de les convoquer. Ils surgissent, ploient un genou en terre, le front baissé.

« On me dit que vous ne cessez de roucouler auprès d’une dame. Et de vous chicorner comme des chiots écervelés autour d’un os ! Oubliez-vous dans quel péril nous sommes, pour musarder de la sorte ? »

Les accusés relèvent la tête, prêts à répondre. Mais l’œil terrible de l’empereur les foudroie.

« Roland, comte d’Anger et toi, Renaud, seigneur de Montauban, mes preux, j’ai grand besoin de vos épées ! L’heure n’est pas à la galipote, ventredié ! J’ai donc confié ladite dame à Naîmes, le duc de Bavière. Ainsi aurez-vous l’esprit disposé à la guerre. J’ajoute qu’après la victoire, la dame appartiendra à celui d’entre vous qui aura massacré le plus de maures. Disparaissez et préparez-vous à la guerre. »

Il n’y a rien à ajouter. Roland et Renaud s’en vont, empourprés de honte. Aucun n’a un regard pour l’autre. À ce moment, quoique cousins, ils se haïssent.

Charlemagne soupire, les regardant s’éloigner. Comme il les comprend ! N’a-t-il pas lui-même succombé au charme de la dame, autrefois ?

Comment en sommes-nous arrivés là, mes amis ?

La dame s’appelle Angélique. Chevelure de jais encadrant un minois délicieux, longs yeux effilés. Silhouette déliée, gracile. Elle ne marche pas, elle danse ; quiconque la contemple la désire et s’égare. Elle est fille de Galafron, roi du Cathay, en la Chine lointaine, qui se méfie des Francs et de leur soif de conquête. Voilà quelques mois, il a envoyé Angélique et Argail, son frère, auprès de Charlemagne. L’abondance des présents — or, tapisseries, épices, animaux sauvages, masquait leur véritable but : semer le trouble parmi les paladins, les distraire de leur ardeur guerrière. Angélique les envoûterait par son charme, Argail les défierait, les pourfendrait. Ses armes enchantées (parmi lesquelles une lance d’or, j’y reviendrai) le rendaient invincible ; Angélique possédait un anneau magique procurant l’invisibilité.

C’était la trêve de Pâques. Comme il est coutume, Maures et Chrétiens s’entremêlaient à la cour. Quand parut Angélique, la passion embrasa les cœurs. Renaud, Sacripant et bien d’autres furent du lot. Même Charles succomba, je l’ai dit. Mais le plus fou d’amour fut Roland, dont l’âme s’ensorcela. S’ensuivirent, de longs mois durant, ribambelle d’aventures échevelées qui entraînèrent les uns et les autres jusqu’en Orient. Je ne les évoque pas ici, tant elles furent innombrables. Sachez seulement qu’Argail fut tué en duel par Ferragus, un chevalier sarrasin. Ses armes furent dispersées, l’anneau magique égaré.

Ainsi Angélique est seule dans Paris assiégé, sous la garde de Naîmes. Elle maudit ces fieffés boutefeux toujours amourachés d’elle, dont elle n’a que faire.  Son cœur est sec, son cœur est de pierre. Elle n’a qu’un seul désir : revenir au Cathay. Galafron, son père bien-aimé, vient d’y trépasser. Le trône est vacant et les courtisans s’agitent. Elle doit rentrer au plus tôt.

Ce jour-là, le combat tourne à la déroute des chrétiens. Sont-ce les remontrances de l’empereur ? Roland et Renaud font de leur mieux, mais n’ont pas l’esprit à l’ouvrage. La troupe franque reflue en désordre dans Paris. Nombreux sont les captifs des Sarrasins, dont le vieux Naîmes et ses hommes.

Sans gardien, Angélique enfourche un cheval et s’empresse de fuir le camp chrétien. Elle s’enfonce dans les bois proches.