Balbuzar, le plus grand pirate de tous les temps, n’a pas toujours été ce forban des eaux. Avant d’écumer les Sarboucanes et d’affronter le Commodore, il a eu une autre vie : son enfance. Terrible et fabuleuse à la fois.
« Ronn, l’enfance de Balbuzar » raconte cette période de sa vie. À l’aune de ce récit, on comprendra mieux la complexité, entre noirceur et lumière, de ce personnage légendaire.
L’illustration sera bien évidemment de Frédéric Pillot.
J’ai été connu sous le nom de Balbuzar.
C’était il y a des lustres, malebouc ! Si longtemps qu’aujourd’hui, je ne sais plus trop qui je suis. Un barbon, sans nul doute. Mes jours s’écoulent et se ressemblent. Le plus souvent je médite face à la mer, j’arpente la grève en rêvassant.
Comme qui dirait captif sur cet îlot, pauvre chiure de mouche dans la mer des Sarboucanes.
Je ne suis pas malheureux, non. Ni seul. J’ai la compagnie de mes chers emplumés. Celles du vent, des vagues, des parfums de la forêt. Je mange à ma faim, je dors d’un sommeil innocent. Ayant fort usé de la société des hommes, mon sort me va.
De temps en temps, un vieil ami me visite. Souvent à l’improviste. Mais il m’arrive aussi de l’invoquer, et il surgit aussitôt.
Jack LeNoir.
Je le vois, il vient d’émerger du brouillard qui s’effiloche au-dessus de la mer. Toujours la même allure, ce vieux marsouin. Immobile à la barre de sa goélette, aussi droit qu’un mât d’artimon. J’entends le claquement des voiles, malgré leur état de guenilles. La coque touche à peine les flots. Jack est seul, comme à l’ordinaire. Je lui fais signe, je hurle son nom. Foutaise. Il ne répondra pas. Les morts ne parlent pas. Il me regarde, pourtant, de ses yeux rougeoyants. Je ressens sa présence avec une telle intensité que j’en frissonne.
Puis il s’évanouit, avec ses oripeaux de brume.
Salut, mon vieux Jack. Ton souvenir est fiché au plus profond de moi.
Qui sait si l’heure n’est pas venue pour moi de te rejoindre ? Nous serions deux, sur la Farouche, comme autrefois. Nous voguerions pour l’éternité.
Mes oiseaux s’indignent. Ils criaillent autour de moi comme une meute de pintades ! Ils me vrillent l’ouïe ! Ah ! Ah ! Paix, mes trésors, paix ! Votre Balbuzar est là, malicorne ! Regardez, je vis, je brandille. Je ne vous abandonne pas.
Laissez-moi juste accompagner Jack LeNoir de mes pensées. Peu importe qu’elles soient mélancoliques. J’ai droit au vague à l’âme, comme chacun d’entre nous. Comme vous, mes chéris, si vous n’étiez pas si insouciants, si oublieux.
Moi, je n’oublie rien.