gerardmoncomble | Deux ans de vacances
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Deux ans de vacances

J’ai toujours flirté avec la solitude. J’aime le silence que je me donne, j’aime entendre le temps passer sans que rien ne vienne heurter son flot, j’aime avoir cette impression d’être ailleurs, là où j’ai décidé d’être. C’est dire que je me suis fabriqué une flopée d’îles désertes, depuis mon enfance. Évidemment, les livres ont été de celles-là.

Lire, c’est une fabuleuse façon de s’isoler, même si les bouquins sont aussi des passerelles vers les autres.

Alors, quand on tombe dans une histoire qui parle d’île déserte, c’est le bonheur. C’est vrai, j’aurais pu lire Robinson Crusoë, qui est le livre de la solitude : il était rangé sur une étagère, avec les autres. Mais la couverture ne me plaisait pas, ni les dessins, à l’intérieur. Ce type avec une cloche en peau de chèvre sur la tête ne me disait rien qui vaille. Quand on est môme, c’est important de vouloir rentrer dans un livre et celui-là ne m’attirait pas. Je l’ai lu plus tard, beaucoup plus tard.

Par contre, mon oncle m’a offert un jour un vieux bouquin dont la couverture m’a plu tout de suite. C’était un long livre cartonné, rouge vif, avec plein de dorures dans tous les sens, j’ai tout de suite envie de l’ouvrir. Bibliothèque d’éducation et de récréation, J. Hetzel et Cie, rue Jacob, 18, Paris, c’était marqué à l’intérieur. Et au-dessus, écrit en arc de cercle, « Deux ans de vacances » par Jules Verne. Le Grand Jules.

J’ai feuilleté ; les illustrations étaient géniales, de Benett, je crois. Sombres, bourrées de mystère, presque illisibles parfois (les pages étaient constellées de petites taches jaunes).

C’était parti. Je crois bien que je n’ai pas décollé du livre de toute la journée. Pourtant, j’avais du mal à tout comprendre : Jules Verne a le style un peu lourd de son époque, et certains passages sont assez indigestes. Mais l’histoire de ces mômes débarqués malgré eux (un naufrage) sur une île au beau milieu du Pacifique m’a passionné. Tout y était : la cabane à construire, les animaux fantastiques, les expéditions dans l’inconnu, le mystère, les dangers, les rivalités entre enfants (spécial récré) et même un squelette de marin qui ressemblait comme une goutte d’eau à celui d’un Robinson qu’on aurait oublié sur son île.

Jusqu’à cette façon dont Jules Verne résout — ou plutôt fait résoudre à ses héros — les difficultés rencontrées, d’une manière si rationnelle et en même temps si poétique ! Ça m’a fasciné. J’étais sur l’île Chairman, moi. J’étais Gordon, j’étais Briant, Baxter, Service et tous les autres. Je nageais, je chassais, je mangeais (ah, ces outardes farcies !), je bricolais avec eux… J’étais en immersion totale dans l’histoire, comme le capitaine Nemo avec son Nautilus.

Je l’ai relu dix fois, depuis. Il n’y a pas si longtemps encore. Peut-être plus aujourd’hui par nostalgie, sans doute. J’ai écrit un livre sur un thème identique : des enfants livrés à eux-mêmes, sans adultes, dans un lieu clos (L’heure du rat). « Deux ans de vacances » est même l’un des principaux protagonistes de Moi-je, un de mes romans pour ado. Ça frise l’obsession, j’avoue. Mais ça montre aussi à quel point une lecture peut laisser des traces. Merci, Jules, pour ces fantastiques vacances que tu m’as offertes. Et pourtant, j’avais les fesses vissées sur ma chaise. Pas besoin de bouger pour voyager.